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René Girard

Qui est René Girard ?Quelles sont les idées qu’il a développées ? Les lignes suivantes,  écrites par Simon De Keukelaere et accessibles sur le site Internet "dictionnaire des philosophes"  http://mper.chez-alice.fr/auteurs/Girard.html, nous permettront de mieux de le connaître et de ce fait de nous préparer aux prochaines conversations.

1/ Le désir mimétique

Le point de départ de la réflexion de Girard se situe dans l’analyse des rapports de désir dans les ‘romans de génie’. Son premier livre s’intitule ‘Mensonge Romantique et Vérité Romanesque’ (1961). Pour l’écrivain Milan Kundera ce livre est « le meilleur que j’ai jamais lu sur l’art du roman » (Testaments Trahis).  En réalité il ne s’agit pas d’abord d’une théorie de ‘l’art du roman’, mais de la mise en évidence (romanesque) de ce que Girard appellera le « désir mimétique ».
« Ce qui me frappait, dit-il dans un entretien avec Marie-louise Martinez, c'était le rapport entre ce que Proust appelle snobisme, ce que nous appelons tous snobisme et ce que Stendhal appelle vanité. Et je me souviens: ce qui a déclenché mon idée du désir mimétique, (ce désir imité qui n'est jamais vraiment spontané) c'est lorsque j'ai compris que chez Cervantès et chez Dostoïevski, au fond, il y avait la même chose que chez Proust et Stendhal, et parfois sous des formes plus outrées, sous des formes qui avaient un caractère psycho-pathologique. »
Pour Girard le désir, à la différence des appétits et des besoins dont l’instinct détermine les objets, n’a pas d’objet prédéterminé. Cette liberté fait son humanité. Les désirs humains peuvent varier à l’infini parce qu’ils s’enracinent non dans leurs objets ou en nous-mêmes mais dans un tiers, le modèle ou le médiateur dont nous imitons le désir.

Rivalité mimétique, une théorie de la violence

 Que se passe-t-il quand la distance culturelle, géographique ou spirituelle entre l’imitateur et le modèle devient négligeable? Réponse: ils risquent de désirer les mêmes objets.
Les objets susceptibles d’être désirés ‘ensembles’ sont de deux sortes. Il y a d’abord ceux qui se laissent partager. Imiter le désir qu’inspirent ces objets suscite de la sympathie entre ceux qui partagent le même désir. Il y a aussi les objets qui ne se laissent pas partager, objets auxquels on est trop attaché pour les abandonner à un imitateur. La convergence de deux désirs sur un objet non partageable fait que le modèle et son imitateur ne peuvent plus partager le même désir sans devenir l’un pour l’autre un obstacle dont l’interférence, loin de mettre fin à l’imitation, la redouble et la rend réciproque. C’est ce que Girard appelle la rivalité mimétique, étrange processus de ‘feedback positif’ qui sécrète en grandes quantités la jalousie, l’envie et la haine.
 

2/ Éthologie, processus d’hominisation et crise mimétique

La rivalité mimétique s’observe non seulement chez les hommes, mais aussi chez les primates non humains, sous forme de ‘mimésis d’appropriation’, mimésis qui peut devenir violente. Chez ces primates, disent les éthologues, il faut toujours tenir compte des ‘dominance patterns’ (rapports de domination) qui constituent un frein inné à la violence. Les hommes n’ont pas ces freins innés, mais ils ont des freins culturels qui ont pour but de ‘contenir’ la violence. 
Dans une perspective évolutionniste on voit naître ici un problème fondamental, parce que la culture humaine (dans une approche évolutionniste) ne peut ‘tomber du ciel’.
Il faut tenir compte non seulement de l’absence de ces freins instinctuels chez les hommes, mais aussi de l’apparition d’une donnée typiquement humaine, éminemment destructrice et contagieuse que nous appelons la vengeance. Pour Girard il s’agit là d’un phénomène mimétique par excellence, car ‘se venger’ c’est toujours imiter (passionnément) la violence (qui ne semble venir que) d’autrui. Vouloir se venger, c’est le propre de l’homme. Pour Girard c’est l’intensification du mimétisme, dû à l'accroissement du cerveau qui fait éclater les réseaux de dominance. Un accroissement de violence se produit, qui menace l'espèce. Si aussitôt qu'on désire ce que désirent les autres ceux-ci deviennent des rivaux, comment la communauté humaine au tout début a-t-elle pu se former? Comment cet obstacle formidable qu'oppose la violence à la création de toute société humaine a été soulevé?
En effet, le mimétisme humain, sans freins quelconques, peut se propager comme une traînée de poudre, et conduire à la violence généralisée (le chaos, l'indifférenciation contagieuse, la crise sacrificielle), rendant ainsi impossible la survivance de l'ordre social. On arrive ici au fameux cauchemar de Hobbes : « la guerre de tous contre tous ». Comment cette crise peut-elle se résoudre, comment la paix peut-elle revenir? 
Pour Girard, cette énigme ne fait qu’un avec le problème de l’apparition du sacré. C’est précisément au paroxysme de la crise de tous contre tous, que, loin de se regarder et de se dire « bon ça ne peut plus aller comme ça, établissons un contrat pour vivre ensemble » qu’un mécanisme autorégulateur fait son œuvre. Le ‘tous contre tous’ violent se transforme automatiquement en un ‘tous contre un’.  Pourquoi ‘automatiquement’ ? La réponse c’est qu’il s’agit d’un mécanisme purement, uniquement mimétique.
Plus les rivalités mimétiques s'exaspèrent, plus les rivaux tendent à oublier les objets qui, en principe, la causent (mais rendus infiniment désirables par ‘les autres’), plus ils sont fascinés les uns par les autres. À ce stade la sélection d’antagonistes va se faire pour de raisons purement mimétiques, contingentes. Etant donné que la puissance d'attraction mimétique se multiplie avec le nombre des polarisés (comme un effet de boule de neige), le moment va forcément arriver où la communauté tout entière (unanime !) se trouvera rassemblée contre un individu unique.
Dans l'enfer du même et du symétrique va donc surgir ‘in extremis’ la différence. L'unique fauteur de troubles sera violemment écarté ou mis à mort par la collectivité unie contre la victime. Au moment où cela paraît le moins probable, le bruit et la fureur se sont - en un coup - dissipés.
Pour la communauté nouvellement fondée la victime était certainement la cause de tous les désordres, car une fois éliminée la paix (provisoire) est retrouvée! La victime est extrêmement mauvaise, puisque c’est elle qui a apporté la crise, mais elle est aussi extrêmement bonne, puisqu’elle a ‘emmené la crise violente’ avec elle après sa mort (c’est le double transfert du sacré qui s’ébauche ici). Au lieu de voir en elle un homme ou une femme impuissant(e), abandonné(e) par tous, qui s’est fait massacrer, la communauté verra en elle une créature toute puissante, qui peut apporter la paix ou la ‘peste’. C’est la première divinité qui  est née.

Interdits, rites, mythes

Quand va t’elle ‘apporter la peste’, ‘faire tomber le ciel sur la terre’ (c’est à dire : refaire la crise mimétique)? Réponse: à chaque fois que les hommes refont les gestes qui ont causé la crise terrifiante. D’où la naissance des interdits, des tabous, de l’hiérarchie, des barrières qui séparent les hommes (car la crise, il faut le rappeler, ce n’était pas la différence, mais le même, les frères ennemis, les jumeaux violents inséparables). Et si les hommes, à ce stade là, ne respectent pas ces interdits, la culture toute neuve, risque réellement de retourner au chaos violent d’où elle est sortie (‘d’être puni par la divinité qui a ‘appris les interdits aux hommes’).
Mais pourquoi alors l’existence des rites, ce second grand pilier du religieux? Les rites c’est la différence culturelle qui s’inverse puis s’effiloche et s’efface, la transgression des interdits.
René Girard croit avoir trouvé la réponse à cette énigme, à cette (apparente) contradiction entre rites et interdits: pour lui les rites, ce sera d’abord, refaire la crise. Non pas pour se précipiter vers la catastrophe si redoutée, mais pour bénéficier de son dénouement extrêmement heureux: ce sera le sacrifice.
Toute civilisation, dit René Girard, est au départ une religion. Toutes les institutions sont d’origine religieuse et conservent les traces de ces origines sacrificielles.
 
Les mythes raconteront des désordres mimétiques réels, non pas ‘objectivement’, mais du point de vu de la communauté malmenée par sa propre violence. Parce que ces évènements se déroulent toujours à peu près de la même façon et aboutissent toujours à peu près aux mêmes résultats, les mythes se ressembleront.

C’est dans son deuxième livre ‘La violence et le Sacré’ (1972, couronné par l'Académie française) que René Girard proposera sa thèse sur l’apparition du sacré. Ce livre est une étude du mythique, du tragique, de la naissance des dieux et des rois, de la genèse des rites et des sacrifices, des interdits, du monstrueux, des jeux du hasard.

Dans ce livre, il montre aussi en quoi son approche diffère de la psychanalyse Freudienne. Il s’ensuit une critique soutenue du complexe d’Œdipe et une relecture critique de Totem et Tabou s’appuyant sur les objections de Lévi-Strauss dans « Les Structures élémentaires de la parenté ».

3 / « Des choses cachées depuis la fondation du monde »

Son troisième livre ‘Des Choses Cachées Depuis la Fondation du Monde’ a pour titre une citation de l’Évangile selon Matthieu (13, 35). Dans ce livre une surprise attend le lecteur: la théorie de Girard n’est pas sa théorie: tout est déjà révélé dans le recueil religieux de notre civilisation: la Bible hébraïque et les Evangiles.
Au premier abord ils ne semblent pas différer du mythique. Pour Girard, par contre, les Evangiles ne sont pas un mythe, non pas parce qu’ils parlent de choses différentes (autre référent), mais justement parce qu’ils parlent de la même chose très différemment. Cette même chose c’est le rassemblement d’hommes qui mettent à mort un des leurs, haï sans raison. Dans les Évangiles les choses ne restent pas cachés, mais sont mis au grand jour. La victime est révélée comme elle est réellement: innocente et impotente, abandonné par la communauté, bouc émissaire des hommes. Ce n’est pas le point de vue des persécuteurs, mais de la victime qui est donnée. La victime est innocente, elle est l’agneau de Dieu.
La Bible Hébraïque est une longue sortie du religieux violent (du ‘paganisme’), la divinité biblique est dévictimisée et les victimes (Caïn, Job, Joseph, le Serviteur Souffrant, ) dédivinisés. La belle fourrure mythique s’est retournée pour montrer le sang innocent de la victime à l’intérieur. Les Évangiles retournent à l’origine violente pour dévoiler cette fondation du monde, et pour rendre caduc ‘la paix de ce monde’ qui est fondé sur l’exclusion d’un tiers, d’une personne humaine.
« Je vous laisse la paix, je vous donne Ma paix. Je ne vous donne pas comme le monde donne. » (Jean 14:27)
Révélation dangereuse et subversive puisqu’elle va priver l’humanité, lentement mais sûrement, de ses garde-fous sacrificiels. Risque d’apocalypse (révélation en grec) ou d’une paix toute différente.

Dans la perspective de René Girard il faut lire les mythes à la lumière des grands textes bibliques pour cerner l’énorme phénomène ‘d’auto-duperie’ qui fait naître le mythique. Un des mythes les plus connus c’est sans doute le mythe d’Œdipe. Comment faut-il comprendre sa genèse? La psychanalyse nous rend attentifs au parricide et à l’inceste dans ce mythe. Mais pour René Girard ce n’est pas l’inconscient ni l’imagination ex nihilio qui fait naître les mythes, c’est un phénomène très réel de foule. Pour lui, le parricide et l’inceste, ces étranges accompagnateurs de la divinité, ne sont pas des désirs enfouis dans le plus obscur recoin du Moi, mais des accusations typiques d’une foule en quête d’un ‘bouc émissaire’.  Derrière le mythe d’Œdipe se cache une chasse à la ‘sorcière’.  Tout comme les chasseurs de sorcières qui croient réellement à la culpabilité de la femme accusée par tous (« c’est elle qui a gâché les récoltes »), le Thébain croit réellement que c’est le boiteux qui a apporté la peste. Pourquoi? Parce que tout le monde le croit, parfois même la victime (phénomène mimétique). C’est pourquoi la femme accusée, tout comme le boiteux semblent extrêmement puissants. En réalité c’est la foule anxieuse qui est toute puissante et la victime impuissante.

Comme quantité de dieux Œdipe (littéralement : ‘pied enflé’) est un peu ‘abîmé’. Dans le mythe c’est le boiteux, l’handicapé qui est (pour reprendre une expression anglaise fort vulgaire) un ‘motherfucker’ qui apporte la peste et rends les hommes malheureux. Il faut s’en débarrasser, il faut l’expulser. Mais c’est justement cette expulsion qui va faire de lui une divinité! Œdipe rapporte ‘in extremis’ la paix qu’il avait rendue impossible par ses crimes abominables. 
Pour comprendre ceci, il faut appliquer le principe selon lequel c’est ‘la pierre rejetée par les bâtisseurs qui est devenue la pierre angulaire’.

Le mythe c’est l’accusation de la foule (les frères jaloux dans l’histoire de Joseph). La Bible ne prend pas ces accusations au sérieux. La victime est innocente et humaine. La foule des frères a tort d’expulser Joseph. Plus tard il n’apporte pas ‘les sept plaies d’Egypte’ et l’accusation d’adultère reprise par tout le monde est fausse. La victime a raison, la foule a tort. Dans le mythe ‘celui qui a les pieds enflés’ est coupable, expulsé et divinisé (devient une idole).

Pour Girard ce sont les Évangiles qui disent cette vérité dont les hommes ne veulent pas.
Les disciples promettent de mourir avec Jésus s’il faut, mais une fois que le moment est arrivé, ils l’abandonnent tous. Pierre, le premier des disciples, le suit le plus loin, jusqu’à la cour du grand Prêtre, mais une fois seul dans un milieu hostile à Jésus, il le renie. La communauté qui l’acclamait quelques jours avant s’est unanimement tourné contre Lui. Comment se peut-il ? C’est, répond Girard, qu’il s’agit bien encore de ce phénomène extrêmement mimétique. Dans les mythes ce phénomène de foule est invisible, car c’est la foule qui parle à travers eux. Pour Girard le judéo-chrétien c’est le refus de la religion des hommes et la révélation d’une divinité qui ne doit rien à la violence humaine.
Girard félicite Nietzsche d’avoir mis en évidence la singularité du judéo-chrétien qui défend la victime. Mais Nietzsche y voit une différence d’essence seulement morale. Une morale, bien méprisable, vu qu’elle est la revanche sournoise des faibles contre les forts. C’est ce que Nietzsche a appelé la « morale des esclaves ». Mais pour Girard il ne s’agit pas d’une morale de la foule des faibles contre l’élite des forts.  Nietzsche ne voit pas le phénomène de foule mimétique derrière les mythes, dit Girard.  L’innocence des victimes, c’est la vérité. Les victimes sont des boucs émissaires désignés par le seul mimétisme violent. Elles sont donc réellement innocentes. Il y a là une coïncidence saisissante de morale et de vérité. La défense des victimes n’est pas un prêchi-prêcha. En proclament la vérité des boucs émissaires, le judéo-chrétien ébranle le système mythique dans son ensemble, car le mensonge dénoncé joue un rôle essentiel dans la culture humaine.

Conclusion
 
Cette anthropologie du religieux n’a rien de théologique, mais elle peut – visiblement – déboucher sur le religieux ou tout au moins remettre un peu en valeur le judéo-chrétien. On voit bien aussi ce que peut avoir de ‘déconcertant’ cette réconciliation entre science de l’homme et religion. Car Girard, il faut le préciser, se réclame de la science. Sa théorie, dit-il est une hypothèse qu’il faut faire travailler. Il faut vérifier si elle explique réellement les données ethnologiques, religieuses, anthropologiques, Il faut juger l’arbre aux fruits.
Sa théorie veut aussi remplir une lacune dans les théories actuelles de l’hominisation. « Les derniers stades de l’évolution biologique impliquent certaines formes de culture. La théorie mimétique s’y insère de façon absolument parfaite, et remplit les vides dans l’explication du processus d’hominisation. »  (Celui par qui le scandale arrive)
Un autre aspect frappant de la recherche de Girard, c’est l’importance qu’il attribue à la littérature. On en voudra pour preuve son livre sur Shakespeare: ‘Shakespeare, les feux de l’envie’ (prix Médicis). Aux dires de Girard, le génie de Shakespeare ne se contente pas de mettre en scène les paradoxes mimétiques et sacrificiels, mais il en fait la théorie, dans « un langage souvent proche du nôtre ». 
Ce qui rend encore difficile la théorie de Girard c’est son caractère génétique. « Le désir mimétique est un principe de complexité », nous apprend le mathématicien et économiste Jean-Pierre Dupuy. Elle procède du simple au complexe.

La théorie mimétique est d’abord une anthropologie du religieux qui veut renouer avec les grandes questions de l’ethnologie classique (Hubert, Mauss, Durkheim, ) trop souvent abandonnées par la suite, pour retrouver la force subversive et singulière du judéo-chrétien en général et de ‘la religion de la Croix’ en particulier.

Bibliographie René Girard

Différentes sources identifiées :

  1. Présentation de René GIRARD par Simon De Keukelaere
  2. Source site : http://www.cottet.org/girard/
http://home.nordnet.fr/~jpkornobis/Girard/frontiere1a.html : un entretien entre René Girard et Marie-Louise Martinez

Bibliographie :
1961 Mensonge romantique et vérité romanesque (Paris: Grasset)
1963 Dostoïevski: du double à l'unité (Paris: Plon).
1972 La violence et le sacré (Paris: Grasset). L'ouvrage est couronné par l'Académie
1976 Critique dans un souterrain (Lausanne; L'Age d'Homme).
1978 Des Choses cachées depuis la fondation du monde avec Jean-Michel Oughourlian et Guy Lefort
1982 Le bouc émissaire (Paris: Grasset).
1985 La route Antique des hommes pervers (Paris: Grasset)
1988 To double business bound, The Johns Hopkins University Press, 1978. London, Athlone Press, 1988.
1990 Shakespeare Les Feux de L'envie (Paris: Grasset) prix médicis
1994 Quand ces Choses commenceront, entretiens avec Michel Treguer (arléa Paris diffusion Le Seuil)
1999 Je vois Satan tomber comme l'éclair (Paris: Grasset)
2001 Celui par qui le scandale arrive (Desclée de Brouwer)
2002 La voix méconnue du réel (Paris: Grasset)

Jean-Claude Guillebaud

 

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Article de Jean Claude Guillebaud dans le Monde

L'Occident ? Un monde clos sur lui-même
Partout, de Pékin à Hanoi, Mexico ou Lagos, l'abondance, la liberté individuelle, la musique, la télévision et la consommation effrénée suscitent une attirance et une volonté d'imitation. Le capitalisme séduit, la modernité éblouit et provoque la convoitise. Pourquoi le nier ? Pourquoi s'en plaindre ?

Dans le même temps, cependant, des refus se manifestent. Souvent par la violence ou le terrorisme et, dans le meilleur des cas, par un retour confus vers la tradition ou la religion réinventée dans sa forme la plus archaïque. Ce qui est dénoncé alors, ce ne sont pas seulement les insuffisances du modèle culturel et social que nous incarnons - inégalités, dureté sociale, atomisation individuelle, capacité destructrice -, c'est aussi un "impérialisme" d'un type nouveau, fondé sur une étrange sûreté de soi. Comme si l'Occident se trouvait en quelque sorte prisonnier de sa propre victoire.

Il est vrai qu'ajoutée en quelque sorte à la démocratie, une arrogance têtue a surgi tout armée de l'effondrement inattendu du communisme en 1989. Le libéralisme victorieux, en bonne conscience, s'est senti à nouveau dépositaire du destin planétaire, comptable et artisan de l'émancipation universelle, avant-garde assermentée du mondialisme en marche.

Campé face aux replis culturels de l'Arabie ou de l'Asie mineure, dressé contre les frilosités nationales de l'Est ou les rémanences du fanatisme religieux, l'Occident se comporte depuis lors comme s'il refoulait désormais son propre désarroi, ignorait le vide dont il se sait - aussi et malgré tout - porteur.

La modernité occidentale tend à diaboliser ce qui la conteste, à négliger ce qui la questionne, à combattre ce qui lui résiste. Comme si, toute critique oubliée, toute déréliction conjurée, elle retrouvait face à l'autre la certitude qui lui fait défaut face à elle-même. Le philosophe Cornelius Castoriadis, disparu en 1997, n'avait pas tort de poser la question en ces termes : pourquoi nos société riches et libres sont-elles devenues incapables d'exercer durablement une influence émancipatrice sur le reste du monde ? Pourquoi la modernité dont nous sommes les messagers se trouve-t-elle récusée - ou combattue - un peu partout sur la planète ? Autrement dit, qu'est-ce qui "ne fonctionne décidément plus" ?

Pour répondre à la question, on convoque sans relâche la persistance de l'obscurantisme, la régression intégriste, les complots du terrorisme, le désenchantement du lumpenprolétariat du tiers-monde ou l'imposture des dictatures tropicales. C'est une démarche consolatrice mais très insuffisante elle aussi. Si la crise de l'Occident - son "délabrement", pour reprendre Castoriadis - explique qu'il ne rayonne plus, reste à se demander à quoi tient, en dernière analyse, cette "crise". Comment s'explique cette insuffisance qui vaut à l'Occident d'être perçu comme un repoussoir plutôt qu'un modèle ?

Chacun de nous, en son for intérieur, connaît la réponse. Si l'Occident est en crise, c'est parce ce qu'il a cessé d'exercer sur lui-même la capacité critique qui le constituait. "Notre siècle, s'exclamait jadis Emmanuel Kant, est le siècle propre de la critique à laquelle tout doit se soumettre." L'Occident, de ce point de vue, a bien rompu avec Kant. Il a fait de sa modernité et de la mondialisation libérale, non plus un questionnement, mais un privilège et une injonction, non plus une précieuse subversion mais une idéologie conquérante. Il tend à se barricader dans le refus de l'autre. Comme s'il se trouvait désormais bétonné, clos sur lui-même, inaccessible à l'interrogation.

Faisant cela, il se "communautarise" à sa manière et devient du même coup infidèle à cela même qui le constitue.

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La revue Etudes du mois de Janvier a réalisé un numéro particulier (tome 404) comprenant un essai par Jean-Claude Guillebaud autour de la notion d'exister.
La grande inquiétude

 


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